Janvier 2020

La Chine avait fait du bien à Hua Feng. Pour être franc, il aurait probablement été préférable qu’il y reste encore un moment et pourtant, ce qui le rappelait en Corée était justement un produit de cette Chine si bienfaitrice en ces temps sombres… La rencontre qu’il avait eu avec Wang Tian quelques jours plus tôt avait ravivé en lui ce désir de voir Yuan qui ne l’avait quitté depuis son départ de Corée, mais qui s’était néanmoins un peu endormi. Jusqu’à ce qu’on lui rappelle que cet homme lui avait promis de l’attendre, même si c’était jusqu’à la fin des temps. Hua Feng ne se considérait pas comme un romantique. Mais ça, ça avait touché une corde sensible au milieu du tumulte qu’étaient son âme et son esprit présentement. Yuan avait su être là tout en lui donnant la distance dont il avait désespérément besoin. Quelles belles qualités possédait-il pour avoir pu faire ce tour de force ?

Alors voilà. Il était de retour en Corée. Il était arrivé en journée, aujourd’hui. Il savait très bien la date. Savait que le festival de ce soir serait peuplé et que Yuan ne pouvait le manquer. Alors à la dernière minute, il avait dégoté de quoi s’habiller. C’était une amie qui l’avait mise en contact avec une femme qui gagnait sa vie en vendant ce genre de costumes. Il lui avait été prêté pour la nuit et il espérait vraiment qu’il ne le tacherait pas, parce que le tissu était d’un blanc pur comme il n’en avait plus porté depuis longtemps. Même ses t-shirts blancs – surtout eux en fait – n’égalaient pas la pureté de ce qu’il portait ce soir. Ses cheveux étaient longs. Coiffés avec soin. Son amie s’en était donné à cœur joie. Il avait même accepté un peu de maquillage. Juste pour unifier son teint, comme elle l’avait dit. Mettre en avant quelques traits masculins. Elle avait vraiment bien fait ça, il fallait l’admettre.

Hua Feng avait toujours été coquet, quelque chose qu’on ne soupçonnerait pas d’un homme comme lui, probablement. Mais ce soir, il voulait être beau non pas pour le plaisir de l’être pour lui-même, mais bien pour les yeux d’un autre. Quand il arrive, il est déjà un peu tard. Il y a foule. S’il trouve Yuan ici, ça tiendra du miracle. Mais de toute évidence, miracle il y a… et son regard tombe justement sur Yuan. Dehors. Ici même. Dès qu’il arrive. Son cœur bat la chamade. Il était magnifique. Vêtu d’un sombre vêtement. Le noir contre le blanc, apparemment… Hua Feng laisse lentement son regard glisser sur la silhouette si bien mise en valeur, malgré la longue cape. Yuan parlait avec un jeune homme. Jeune homme qui finit par avoir un signe de tête en sa direction. De toute évidence, son regard n’était pas passé inaperçu. Yuan tourne finalement la tête vers lui et Hua Feng a simplement un signe de la sienne pour le saluer sobrement.

Il voit la surprise, peut-être un peu de choc dans le beau regard sombre. Ça le touche. Puis, il tourne les talons. Pas pour se sauver. Pour que lorsqu’il le pourrait, Yuan le suive. Hua Feng contourne le bâtiment pour arriver à l’arrière, dans un jardin qui contrastait avec le reste de Gangnam, mais qui était à l’abris des regards indiscrets. Il était pour l’heure le seul à avoir eu la brillante idée de se sauver ici… et il attend patiemment que le vampire le rejoigne. Ou peut-être que pour une fois, ses doigts fourmillent d’un peu d’impatience si peu coutumière dans son cas…

La présence de Hua Feng, Yuan ne l’avait finalement pas imaginé du tout. Mais c’est grâce à Matthew -Xuxi!- qu’il en a la confirmation. Un simple petit mouvement de la tête pour lui désigner l’homme venait de transformer sa soirée presque « politique » en quelque chose de différent. Ou pas… Après tout, leurs responsabilités à tous les deux les emmenaient souvent, Hua Feng et lui, sur le sentier de la conversation politique… Pourtant au fond de lui Yuan sait déjà que ce soir ce ne sera pas ça. Ou pas entièrement ni majoritairement.

Il est tiraillé à l’idée de laisser son descendant qu’il venait de découvrir mais ce dernier avait le goût à la fête évidemment… Et yuan le laisse donc aller, attendant un instant, peut-être le temps que le choc lui passe, avant de se rendre dans la direction dans laquelle l’autre chinois avait disparu. Personne n’aurait probablement pu le détourner de son chemin et si quelqu’un essai, Yuan ne le voit même pas.

Le fait est qu’il retrouve Hua Feng dans un couloir. Ca semblait idiot… Pourtant les lieux étaient déserts et les salons privatifs tous fermés. L’homme disparaît au bout de l’un d’eux à nouveau… Et Yuan presse le pas, étourdit comme un homme poursuivant un fantôme. Il débouche sur un jardin et le froid vient lui mordre l’épiderme sans que ça fasse frisonner le vampire qu’il était devenu il y a si longtemps. Les vestiges des dernières neiges craquent sous ses pas tandis qu’il rejoint finalement l’homme, esquissant un sourire un peu pâle.

« Hua Feng. »

Il le salut d’un petit mouvement de la tête, l’observant à satiété maintenant que l’homme était à l’arrêt, à moins d’un mètre cinquante de lui. Il avait un costume qui tranchait nettement avec le sien mais mettait agréablement son teint en valeur. Et ses cheveux rendus longs, d’un noir d’encre, donnait une intensité encore plus particulière à son regard sombre. Pourtant ce soir Yuan n’y lisait aucune véritable sévérité.

« Je n’osais pas espérer te voir ce soir. Quand es-tu rentré ? »

Après la dernière crucifixion qui avait emporté l’un des leurs, forçant la main à Hua Feng pour une mise à mort digne, l’homme avait décidé de s’exiler en Chine avec le cœur et le ton de celui qui ne savait pas encore réellement s’il reviendrait un jour. Alors le voir là, moins d’un mois plus tard, c’était très inattendu oui.

« Comment s’est passé ton voyage ? »

Avait-il trouvé ce qu’il cherchait, quoi que ce fusse ? Un nouveau sourire passe sur son visage alors qu’il constate finalement, plus stable dans ses émotions maintenant que le choc était passé :

« Tu reviens pile pour la fête. J’espère que tu as pris ton ticket pour la loterie. »

Le tout en sortant son propre ticket de sa poche. Pas qu’il courrait après un lot mais c’était pour le jeu. Lui qui restait très mitigé sur cette soirée faisait ce qu’il fallait pour tenter de s’y mêler en tout cas.

« Je ne sais pas si tu as eu le temps de voir le jeune homme qui m’accompagnait un peu plus tôt ? »

Il avait envie de le dire à quelqu’un… De parler de Matthew histoire de partager un peu son bonheur présent. Il lui semblait que Hua Feng, qui lui offrait encore plus de bonheur cette nuit, était tout désigné !

« C’est un de mes descendants… Il ressemble trait pour trait à l’homme que fut mon fils… Ca m’a saisit. Surtout dans le costume qu’il s’est choisit. »

La ressemblance avait été encore plus frappante. Mais Yuan se tait, observant encore Hua Feng, ancrant son regard au sien pour revenir finalement sur le sujet de son voyage, lui demandant directement :

« Tu as trouvé ce que tu étais partit chercher ? »

Yuan ne pouvait que l’espérer… Parce que si la paix ou dieu seul savait ce que Hua Feng avait cherché lui était restée inaccessible, cela engendrerait un nouveau départ…

« Je vais parfois dans un vieux temple bouddhiste pour prier... »

Un vieux temple abandonné il va de soit, puisque les autres -consacrés- ne lui étaient pas accessible.

« Je ne sais pas si ça pourrait te faire du bien. Je sais que ça m’en fait énormément. Si tu voulais, je serais heureux d’aller prier avec toi. N’importe quand. »

Enfin… De nuit bien sûr. Mais à ce stade il n’avait probablement plus à le dire à Hua Feng hein…

Le regard de Hua Feng s’arrête sur une silhouette encore trop plongée dans l’ombre pour la reconnaître et pourtant, il sait de qui il s’agit. Quand la belle voix posée prononce son prénom, un petit frisson le parcourt. Pendant ce temps, Yuan l’avait déjà rejoint, lui laissait à loisir observer ce costume qui lui allait à ravir, aussi sombre que le siens était lumineux. Il s’était souvent fait l’impression d’être le Yin du Yang de Yuan et vice-versa. Ce soir, c’était on ne peut plus vrai. Il rend à l’autre homme son signe de la tête, par automatisme, peut-être. C’était bon de le voir, néanmoins et ce malgré son mutisme pas si inhabituel que ça. Hua Feng n’avait jamais été expensif. Yuan ne le lui avait jamais exigé. Il se sentait bien en la présence de l’autre homme, indéniablement…

« Je suis arrivé ce matin. », explique brièvement le membre de l’Ordre. Depuis vraiment pas très longtemps. On ne pouvait pas dire qu’il avait caché son retour à Yuan, de fait. Il ne l’aurait de toute façon pas fait. « C’était… »

Il y a un moment de silence. Les mots lui manquaient pour une rare fois. Certes, Hua Feng ne parlait pas beaucoup. Mais quand il ouvrait la bouche, c’était généralement pour dire quelque chose de précis dont il avait pleinement conscience. Il ne gaspillait pas ses mots. Ce soir, c’était différent. Passager, aussi. Parce qu’il n’y avait que cette situation précise avec cet homme-là qui le rendait ainsi. À d’autres, il aurait répondu une banalité très brève avant d’enchaîner sur autre chose. Mais Yuan… Hua Feng caresse un instant son visage du regard, plus tendre qu’il ne l’avait été avec qui que ce soit depuis longtemps sans même ouvrir la bouche ou tendre la main.

« Je croyais trouver certaines réponses instinctivement, là-bas. Ça n’a pas été le cas. Ce qui n’en fait pas un voyage inutile pour autant. C’était bon d’être de retour à la maison… mais je ne me sentais pas autant à la maison que j’aurais cru. », explique-t-il finalement, après avoir pris le temps d’y réfléchir un peu. Il a un bref sourire pour la loterie, mais ne répond pas. Pas encore, en fait. Il allait peut-être demander à Yuan de l’y conduire un peu plus tard. Pour l’heure, ça ne l’intéressait pas autant que ces retrouvailles. Quant au jeune homme accompagnant Yuan, il acquiesce. « Oui. C’est lui qui m’a vu en premier, il me semble. »

Et avait averti Yuan de sa présence ! Mais il ne savait pas qui il était. Il ne l’avait jamais vu. Pas qu’il connaisse tout le monde à Séoul. C’est juste qu’il était plutôt renseigné habituellement sur les contacts de Yuan. Au moins ceux d’importance. Mais l’explication vient… et Hua Feng comprend que l’importance du garçon ne se mesure pas professionnellement. Il voyait mieux, maintenant.

« Tu l’as rencontré ce soir pour la première fois ? », propose Hua Feng. Il se fiait un peu à la façon dont Yuan avait de lui raconter tout ça. Avec une émotion qu’il ne lui connaissait pas. « C’est un très beau garçon. Il semble bien portant. Tu dois être fier. Vous allez garder contact ? »

Hua Feng garde un instant le silence après ce point final concernant le garçon – de loin, il savait – de Yuan. Parce que la question qui suit était importante. Il avait commencé à en offrir un début de réponse. Mais finalement, il doit secouer négativement la tête.

« Tu n’étais pas là pour m’y aider. », murmure lentement le grand Chinois, son regard se faisant plus intense alors qu’il reste ancré à celui de Yuan. Alors la suggestion qui suit le fait opiner à nouveau. Il irait avec Yuan, dans ce temple plus consacré, mais qui allait sûrement avoir l’air plus saint que tous les autres à ses yeux si c’était là que le vampire se recueillait. Hua Feng devait bien en venir à la conclusion que Yuan n’était pas juste un autre contact pour lui. « Alors allons-y bientôt. »

Peut-être davantage pour passer du temps en compagnie du vampire que pour prier, pour sa part. Mais la méditation allait faire du bien, indéniablement…

« Passons une partie de la soirée ensemble. », propose soudainement Hua Feng, de façon plus spontanée que ce à quoi il avait habitué qui que ce soit le connaissant bien. Mais il n’avait pas envie de faire comme si cette affinité n’existait pas entre ceux, ce soir. « Je ne suis, après tout, qu’un homme. Il y a peut-être autre chose de moi, quelque chose de plus que l’Ordre. Ça ne m’empêchera pas de faire mon travail consciencieusement. »

Ce qui inquiétait et il l’avait compris quand quelques personnes lui avaient rapporté des rumeurs désagréables qui commençaient à circuler dans les rangs de l’Ordre. Des inquiétudes qui n’avaient pas lieu d’être. Hua Feng s’était toujours comporté correctement pour n’inquiéter personne. Ça n’avait pas fonctionné. Alors aussi bien leur donner une vraie raison de parler…

Le retour en Corée de Hua Feng était plus que récent. Au moins n’était-il pas simplement resté chez lui. C’était plutôt bon signe de le voir sortir si vite non ? Et lorsqu’il cherche les mots pour évoquer son voyage, son séjour, son retour aux sources… Il semble à Yuan qu’il y a quelque chose de différent entre eux. Mais pas d’inconfortable, bien au contraire. C’était une connexion assez nouvelle et positive. Quoi qu’il en soit, Yuan acquiesce devant la tentative d’exprimer son idée et son sentiment de Hua Feng, il visualisait un peu cette sensation oui.

« Parfois on va chercher ailleurs les réponses qu’on pourrait avoir ici. Mais c’est un apprentissage également. »

Celui du voyage, de la quête et du chemin de pensée pour en venir à cette constatation. Yuan acquiesce simplement à propos de Matthew qui l’avait remarqué le premier et en même temps il marque une hésitation… Avant d’admettre :

« Il m’a semblé ressentir ta présence à un moment. Mais je ne saurais dire si c’était un désire inconscient ou un réel fait pour être honnête. »

Pas qu’il veuille ravir à son descendant le luxe d’avoir remarqué Hua Feng le premier… Mais il ne pouvait nier qu’à présent une part de lui avait la certitude d’avoir effectivement ressentit la présence du membre de l’Ordre. Pour en revenir à Matthew ceci dit :

« Oui. Par hasard… En fait le voir m’a bouleversé. Il est l’image même d’un des deux fils que j’ai eu de mon vivant. C’était à la fois une émotion très positive de voir cette espèce d’apparition et en même temps une grande douleur. »

En tout cas, il confirme :

« Il est magnifique. J’aurais pu être fier même sans ça mais il faut le dire. Et malgré son jeune âge il semble très mature. »

Une vraie belle qualité aux yeux de Yuan qui n’avait plus toujours la même patience pour supporter les cabrioles de la jeunesse humaine !

« Nous allons sûrement nous revoir oui. A la Lanterne je pense. »

Et histoire de tester un peu la température :

« Il fait des jeux vidéo très vite… Quoi que ça puisse réellement signifier. Sur internet. Visiblement les gens paient pour le regarder jouer. Ça te parle… ? »

Bref, peu importait parce que l’aveu qui suit pourrait presque faire redémarrer son vieux cœur enfermé dans un sommeil éternel. Il lève une main, venant du bout des doigts, en prenant quelques longueurs, écarte une mèche qui venait jouer devant le regard azur que l’autre chinois arborait ce soir. Son geste meurt dans une caresse le long du visage de Hua Feng qui accepte rapidement sa proposition. Et histoire qu’il n’ait pas trop le temps de changer d’avis :

« Demain ? »

L’homme le surprend encore en lui demandant de manière assez « officielle » à ce qu’ils partagent une partie de leur soirée au moins et Yuan acquiesce. Quant à cette responsabilité que Hua Feng semblait susceptible de pouvoir dresser entre eux, Yuan remarque :

« Tu as déjà eu des relations privilégiées avec des vampires. Est-ce que mon statut de Membre du Conseil me condamne de toute façon à ne pouvoir me lier qu’avec l’homme de l’Ordre ? »

Plutôt qu’avec l’homme tout court ? Certes ils avaient tendance à tourner un peu autour du pot, tous les deux… Mais cette question-là, elle commençait à tenir à cœur à Yuan. Il lui semblait -et il avait parfaitement conscience en fait- que Hua Feng avait des récriminations face à leur relation… Pour autant, il n’avait jamais réussi à réellement comprendre ce qu’elles étaient… Et donc pas réussi à les contourner.

« Comment vont tes côtes ? »

Lui qui avait tant souffert, agressé par un vampire quelques semaines plus tôt.

« Ici tu n’as pas raté grand-chose. Tant pis ou tant mieux, vu les derniers événements marquants. »

Et sordides… Quoi qu’il en soit, histoire de partir sur un sujet plus léger également :

« J’ai eu l’occasion de croiser un autre membre de l’Ordre il y a une dizaine de jours en ton absence. Pas quelqu’un avec tes fonctions. Un chasseur. Pour régler une menue affaire… Jang Ahn Jae, si je ne m’abuse. »

Pas forcément si menue mais puisque c’était régler à présent, inutile de rentrer dans les détails ennuyeux…

« Je crois qu’il faut que ton ordre arrête de l’envoyer tout seul. »

Sincèrement ! Et amusé :

« Il n’est pas méchant mais clairement pas protocolaire pour deux sous… »

Tout le contraire même !

Oui. Le chemin qui menait au but était rarement linéaire, mais c’est ce qui permettait au garçon de devenir homme. Hua Feng savait qu’il n’était pas au bout encore. Mais il avait déjà parcouru une bonne distance. Yuan suggère ensuite avoir ressenti sa présence, sans savoir si c’était bel et bien ce qui s’était produit. Peut-être que c’est retenir uniquement ce dont il avait envie, mais Hua Feng ne peut s’empêcher de rebondir sur un aspect de ce qui lui avait été présenté, son regard grave posé sur le fin vampire.

« J’apprécie que ce sentiment ait pu naître du désir. », admet l’homme, pourtant toujours aussi stoïque qu’à l’habitude. Yuan comprendrait qu’il était sincère. C’était juste difficile pour lui d’être en paix avec ses sentiments pour le vampire alors qu’ils étaient… qui ils étaient. « Mais tu as toujours eu les sens aiguisés. Ça ne m’étonnerait pas que tu l’ais senti, ce regard que j’avais posé sur toi. »

Il avait été plutôt intense, d’ailleurs… Il se contente d’un bref signe de la tête à propos du descendant de l’autre homme. Étrange ce que le monde pouvait être petit, parfois… Même quand on traversait les âges, de toute évidence. Par contre, alors que Yuan lui parle de jeux vidéo, le regard de Hua Feng devient un peu… vide !

« Heu… »

Ça répondait probablement assez bien à Yuan. Il n’avait jamais touché un seul jeu vidéo de toute sa vie et ne comprenait pas trop l’attrait que ça pouvait avoir de regarder quelqu’un jouer au point qu’il puisse en gagner sa vie ! Hua Feng n’avait pas vraiment grandi comme tous les jeunes de son âge, de toute évidence. Mais même s’il avait voulu continuer à réfléchir à ce problème sans importance, c’eût été vain. Parce que soudainement, une main aux longs doigts fins de pianiste se perd près de son visage. Caresse. Hua Feng ne quitte pas Yuan du regard, silencieux alors que le vampire réussit à le faire frissonner avec si peu.

« Demain. », convient l’homme, prêt à lui concéder ce rendez-vous rapide. S’il ne confirme pas pour les vampires avec lesquels il avait été peut-être un peu trop intime, il peut néanmoins convenir que ça n’aurait pas dû être différent avec Yuan. Mais le Conseil n’était pas le problème… « Ce n’est pas pareil. Eux ou toi. C’est différent et ça n’a rien à voir avec notre position respective. Je n’ai pas envie de te blesser. Mais je vais mourir. Très vite, à tes yeux… »

C’était peut-être égoïste de croire que sa mort pouvait heurter Yuan à ce point. Mais s’il y avait quelque chose entre eux, il espérait que ça le ferait au moins moitié autant qu’il le pensait… Il retient un court instant la main qui avait été sur le point de lui échapper après cette caresse, puis la relâche à son tour.

« Mes côtes vont bien, merci. », assure-t-il. Son état de santé était bon. Probablement meilleur que tout ce qu’il avait connu depuis quelques mois. Il avait pu se reposer. Ça l’avait aidé à guérir même quelques blessures qu’il traînait depuis un moment. Hua Feng acquiesce lentement à propos de ce qu’il n’avait pas manqué. « C’est réconfortant, en effet. Mais ce n’est pas fini. »

Il en était sûr. Parce qu’ils n’avaient pas attrapé la personne qui commettait ces crimes atroces. Alors mieux valait rester sur ses gardes. Par contre, voilà que Yuan lui parle d’un membre de l’Ordre douteux, apparemment… et quand il le nomme, Hua Feng affiche un air affecté, lui qui était habituellement très impassible, trop sûrement. Il semble même, l’espace de quelques secondes, mortifié.

« Ahn Jae ? C’est un ami… Il a de belles qualités. », assure-t-il, parce qu’il était conscient qu’il fallait le préciser après une telle rencontre… « Pourquoi est-ce qu’ils l’ont envoyé auprès d’un membre du Conseil… Je ne connais personne qui a aussi peu de diplomatie. C’est un excellent chasseur et un encore meilleur chef de battue… mais… »

Inutile de continuer sa phrase. Ahn Jae était terrible dans les relations entre l’Ordre et les vampires. Ou les chasseurs.

« Qu’est-ce qu’il t’a dit…? »

Il n’était pas certain de vouloir le savoir et son visage entier reflétait cette non-envie. Mais rendu à ce stade, aussi bien l’apprendre par Yuan que par Ahn Jae…!

Il semblait à Yuan que cette façon de le dire correspondait bien à leur situation des derniers temps : intense. Et lui qui pouvait être si calme depuis trois siècles découvrait qu’il pouvait faire preuve d’impatience encore. Hua Feng faisait ressortir tout un tas de choses chez lui décidément ! Quoi qu’il en soit, s’il avait pu frissonner réellement, Yuan l’aurait probablement fait. C’était un mélange de ce dialogue qu’ils avaient, des circonstances, du timbre si profond de l’autre homme…

Le moment s’égaie un brin et Yuan a un petit sourire amusé alors que de toute évidence Hua Feng n’était pas un jeune homme de trente ans comme les autres quoi. Il n’insiste pas à propos des jeux vidéo, plus intéressé par le reste de leur conversation de toute façon.

Et justement, alors que la conversation dévie sur un sujet beaucoup plus sentimental, Hua Feng les blesses et le caresse dans le sens du poil dans une même phrase. Oui, Yuan était flatté de savoir qu’il était différent aux yeux de l’homme… Et la blessure tenait surtout au fait qu’ils avaient perdu bien du temps à ne pas crever cet abcès à son avis.

« C’est vrai. Tu vas mourir très vite à mes yeux. »

C’était indéniable et Yuan ne voulait pas avoir l’air de botter en touche pour n’aborder la question que du point de vue qui l’arrangeait le plus. Et il savait déjà que même si la question viendrait peut-être un jour sur le tapis, dans l’immédiat Hua Feng se refuserait à ce bout d’éternité qu’il aurait pu lui offrir. D’ailleurs pas menteur :

« Et un jour je te ferais quand même « la » proposition, quitte à ce que tu la refuse, pour ne pas regretter de ne l’avoir jamais fait. »

Ceci étant dit…

« Mais est-ce que tu crois que si tu mourrais demain ou dans cinquante ans de relation platonique, je n’éprouverais pas une grande douleur quoi qu’il en soit… ? »

Le chinois avait pris une très grande place dans sa vie. Bizarrement, même s’ils avaient pris du temps pour se rapprocher depuis cette première fois au Grand Conseil, il semblait à Yuan que cette place avait toujours été aussi grande…

« J’ai vu beaucoup de personnes mourir… C’est le cycle de la vie et aucune perte n’est facile. C’est un trop grand chagrin pour que je me retienne d’aimer ces êtres chers comme je le désire. Ce serait me condamner à une bien trop grande solitude à travers le temps. »

D’autres vampires avaient peut-être un avis tout autre à ce sujet… Il n’aurait pas parlé pour eux. Mais là, ce soir, il n’y avait qu’eux… Et Yuan excluait clairement le reste du monde des sentiments qu’ils partageaient (il en avait une relative conviction) sans se le dire.

Quant à Jang Ahn Jae, Yuan acquiesce, amusé sans doute par ce fugace moment de… Pas de panique mais quand même quoi !

« Je n’en doute pas. Lawrence l’a ignoré de toute sa superbe et les deux autres étaient absents. Heureusement que j’étais là je suppose même si je l’ai traité avec une relative impatience devant son attitude. »

Il lève la main ensuite comme pour dire que c’était assez sur le sujet.

« Rien qui n’ait réellement d’importance. Je considère que c’était un cas exceptionnel. »

Yuan a un nouveau petit sourire et une autre caresse sur le visage de Hua Feng avant de s’en approcher pour de bon. Jang était clairement hors de ses pensées même s’il est vrai qu’un bref instant l’éclat de surprise qui avait brillé dans les yeux de Lawrence l’avait interpellé… Mais il n’y songeait déjà plus.

Hua Feng a tout le loisir de prendre quelques distances si le cœur le lui en dit… Ce qui ne semble pas être le cas. Et enfin, sur les lèvres rendues fraîches par la météo, Yuan vient cueillir un baiser trop longtemps désiré sans avoir été conquis pour de bon. A la fraîcheur de l’hiver s’échange bientôt la chaleur toute humaine qui émanait de Hua Feng… A la douceur de sa peau, à son parfum personnel… Yuan se paie le luxe de se coller contre l’autre homme, invitation muette à poser au moins une main sur de ses hanches tandis que lui-même passe un bras autour de son cou.

Dieu seul sait combien de temps dure ce baiser. Peut-être toute une minute, peut être juste quelques secondes… Mais s’il avait pu battre, son cœur se serait clairement emballé et en toute honnêteté, posant une main sur la poitrine de Hua Feng pour sentir son cœur battre très fort, Yuan convient :

« Tu n’as pas besoin de mots. »

Ce qu’il sentait contre sa paume, ça valait sûrement tous les mots du monde...