Cette nuit la bataille avait été âpre. Ou peut-être que ce n’était qu’une impression. Qu’il s’agisse de Tian, de Xiao Ming ou de lui, une forme de fatigue peu coutumière se lisait sur leur regard. Ils ignoraient alors tous les trois que d’ici moins d’un siècle leur trio se démantèlerait de lui-même et que leurs existences se sépareraient pour plusieurs siècles…

Quittant le campement à même la roche d’une falaise qu’ils s’étaient fait, Yuan retournait sur les lieux du massacre. Il y a une heure le son des épées et des flèches remplissait l’air. L’odeur de poudre était encore présente partout et évidemment : celui du sang. Même pour un vampire c’était trop à son avis. On y allait jusqu’à l’écœurement et comme si ça avait réellement pu le soutirer de cette odeur, Yuan relève sur son nez un masque qui faisait partit de sa tunique.

Il y avait une raison pour laquelle il revenait maintenant… Avant que le soleil ne se lève et que chacun ne vienne ramasser ses morts ou des effets personnels à ramener aux familles. Ces derniers temps, Yuan avait remarqué une présence. Peut-être sur trois champs de bataille, il n’aurait pu le certifier… Mais sur deux sûr, ça oui. Cette nuit encore, du coin de l’œil, entre deux mouvements d’épée, il l’avait aperçu. Une silhouette étrangement calme au milieu du chaos. Ce genre de charisme, ça attire plein de truc un peu « surnaturels ». Déjà ça avait attiré son œil alors même qu’il avait mille autres choses à regarder… Mais autours de lui, il y avait comme une bulle, comme si chacun avait évité inconsciemment de s’approcher. Est-ce qu’il n’avait fait que l’imaginer ? Peut-être…

Mais cette nuit il voulait en avoir le cœur net. Instinctivement, il était revenu sur les lieux et quelque chose lui disait que l’autre en ferait de même.

Et puis il y a cet instant, fugace… Cette sensation d’urgence qui lui fait dégainer son épée ! Le temps de bondir d’un côté et de se retourner, sa lame rencontre brutalement celle de son assaillant d’un bruit d’acier et de petites étincelles qui font briller comme des flemmes les prunelles sombres de l’homme qui vient de bondir. Pas un homme non… Un vampire. Yuan le repousse et voilà qu’il attaque à son tour. Ils ne parlent pas pendant de longues minutes, s’agressant mutuellement d’attaques qui seraient venues à bout de n’importe quel homme tant ils y mettaient de la force.

Les voilà donc à se battre, à multiplier les passes d’armes… A s’entailler une cuisse ou un bras sans parvenir à de réels dommages. Quiconque d’extérieur aurait sûrement été convaincu du fait que la mort de l’autre était leur but à tous les deux. Mais ça prenait aussi finalement la direction d’une épreuve de force… Comme un test…

Lequel des deux trébuche le premier ? Difficile à dire. Le fait est qu’au final, Yuan se retrouve à califourchon sur son adversaire après l’avoir désarmé. D’une main il le plaque au sol avec brutalité et il peut entendre l’os de la clavicule craquer de manière lugubre. Son autre bras est replié en arrière, la pointe de son arme posée sur la tunique de son adversaire, à l’endroit du cœur.

A nouveau leurs regards se croisent… Et Yuan grogne. La cause ? Il lui suffit de descendre légèrement les yeux. Une dague tenue fermement et dont la pointe appuyait assez fort contre son abdomen pour faire grincer le cuir de sa tenue. Le regard du chinois en revient à celui de l’autre, sans qu’il lâche son arme pour autant.

« Ça ne me tuera pas. »

Il se doutait qu’il ne lui apprenait rien mais bon… En revanche son arme à lui était tout à fait bien placée. Ceci étant dit, difficile de déterminer si l’autre vampire parviendrait à le blesser assez douloureusement pour que le matin le rattrape avant qu’il ait pu s’enfuir… Le Yuan de cette époque, néanmoins, était prêt à prendre le risque...

« Qui es-tu ? »

Et tout aussi important :

« Pourquoi est-ce que tu nous suis ?! »

Il en avait la conviction profonde…

La Chine lui plaisait dans tout ce qu’elle avait de plus barbare. Il lui semblait que là où les autres pays commençaient à entrer dans un mode de vie moins barbare qui feront un jour des guerres des événements particuliers et marquants toutes autant qu’elles sont, la Chine continuait de s’en donner à cœur joie sous le couvert d’un territoire vaste qui avait besoin d’un coup de fouet pour continuer à avancer. Allez savoir encore combien de temps ça continuerait, mais le fait que les vampires ne soient pas innocents à ce petit jeu lui plaisait encore plus. Inutile de dire qu’il comptait encore rester un moment ici, ne serait-ce que pour se repaître de cette violence et de toutes ces âmes qui se croyaient dans leur bon droit, leur donnant encore davantage de cœur au combat. Pourtant, il ne s’en mêlait pas. Il se contentait d’observer. Parfois même de s’aventurer sur les champs de bataille quand il l’osait. Ceux dont la lune faisait briller les armes acérées de vampires pugnaces. Et il s’aventurait souvent sur ceux qui venaient de cesser de respirer pour laisser place à la mort et au silence…

C’est ce qu’il faisait, présentement. Jusqu’à ce qu’on le surprenne sans le surprendre. Il savait qu’il le verrait ici. C’était plus une compréhension d’un caractère qui ne lui avait pas encore été présenté qu’un quelconque don d’extralucide. Il n’imaginait pas le combat, néanmoins. Pas encore. Pas tant qu’il ne l’avait pas approché juste assez pour savoir qu’il était au point où il devait attaquer ou laisser à tout jamais cette chance lui passer sous le nez. Alors il avait dégainé… et l’autre combattant s’était révélé d’une dextérité qu’il fallait saluer. Si lui était le chef d’armée qui avait un jour réunifié le Japon, celui-là était un guerrier, un vrai. Il n’avait pas eu besoin de tailler sa place avec charisme et machinations. Son épée parlait pour lui et ça éveillait, chez le combattant venu d’ailleurs, une faim qui n’avait rien à voir avec celle du sang. Il combattait, attentif à chaque mouvement de l’autre, attaquant comme s’il voulait tuer parce que le guerrier ne méritait rien de moins qu’un vrai combat.

Puis ils sont au sol. Une lame contre son cou. Une contre les flancs de l’autre. Il observe la scène avec un plaisir qu’il ne tente même pas de cacher. Pourquoi essaierait-il ? Il était beau, ce vampire aux longs cheveux noirs qui s’échappaient à présent de son nœud rouge, quelques pétales de cerisier souillés de la cendre de ses ennemis s’invitant dans cette tignasse indomptée.

« Ça, non. Mais les conséquences, elles ? »

Sa voix est grave, rythmée comme l’est la voix de ceux qui enchantent en l’utilisant. Mais il sait qu’il n’enchantera pas aussi facilement que d’habitude, ce soir.

« Je t’ai vu combattre, cette nuit. Et d’autres nuits avant. Si quelqu’un a su élever le combat au rang d’art, c’est toi. »

Il n’avait aucune raison de faire couler le sang du vampire au-dessus de lui. La situation était bien trop intéressante pour qu’il s’adonne à quelque chose d’aussi bas.

« Si tu n’étais pas déjà des nôtres, je t’aurais transformé, ce soir. Mais quelque chose me dit que celui qui a la plus longue expérience, ce n’est pas moi… »

Il le voyait. Sans trop savoir comment, cette fois. Cet homme-là avait vécu plus longtemps que lui.

« Tu peux m’appeler Chiyou. Il me semble que ça convient bien. Tu le penses toi aussi. »

Dans d’autres pays, il aurait pu se présenter sous le nom d’Arès que ça aurait été pareil. Le Dieu de la guerre…